A l’entrée du centre ancien, la Porte Jeune est un carrefour
« naturel ». Elle l’est au sens physique, une articulation urbaine ; au sens des usages, un lieu d’échange et au sens temporel, un lien entre les époques. Ce n’est pas un lieu « statique », un quartier parmi d’autres inclu dans la mosaïque urbaine mais l’un de ces nœuds autour desquels s’organise la dynamique d’une ville.
Par son bâti des années 60, c’est aussi un quartier qui pendant un temps a été mal aimé. La rupture du mouvement moderne par rapport aux valeurs de la ville historique a créé dans toutes les villes de France ce syndrome de rejet. Bien sûr, la Porte Jeune n’est pas un grand ensemble au sens d’un quartier isolé et périphérique et la tour de Spoerry est une œuvre architecturale indéniable. Mais malgré ces atouts, la Porte Jeune jusqu’à ces dernières années n’a jamais été portée au crédit de la qualité urbaine. Il faut dire aussi que Mulhouse, si l’on se réfère à une vision pittoresque de l’Alsace, ne peut rivaliser avec les autres grands pôles régionaux. C’est une ville industrielle diversifiée et complexe qui plus que les autres a souffert de la désindustrialisation.
Ce qui a été une faiblesse devient maintenant une force. Les opérations d’urbanisme adaptées à chaque secteur, la reconversion du patrimoine industriel et le lien territorial que représente le tramway vont révéler la richesse et la diversité du tissu urbain mulhousien.
C’est dans ce contexte que se situe le projet de la Porte Jeune conçu autour de trois objectifs prioritaires :
Compléter l’offre commerciale du centre-ville par un parcours nouveau et protégé, prolongeant la rue du Sauvage.
Faire voir autrement l’architecture des années 60 et renforcer le rôle de signal urbain de la tour de Spoerry en modernisant le socle de ce quartier devenu obsolète.
Créer un cadre à l’arrivée du tram-train qui soit cohérent avec la station « centre-ville » que constitue la Porte Jeune.
Si pour le train c’est la gare, souvent excentrée, qui remplit le rôle d’interface avec la ville, pour le tram train, c’est l’espace public qui devient gare. Un fait qui impose d’autres modes d’identification du lieu et d’organisation des usages.
Un signal urbain majeur, une rue galerie, et une architecture « signalétique » mémorisable pour les usagers du tramway, voilà les composantes du projet que nous voulons mettre en œuvre pour la Porte Jeune.
La rue galerie s’inscrit dans une équerre contournant la tour et prolongeant la rue du Sauvage. Elle répond à la géométrie du bâti des années 60 et ce bâtiment de 2 niveaux, très horizontal complètera la lecture verticale de la tour. « L’équerre » sera affirmée par le rouge
« Andrinople » couleur symbolique du textile mulhousien. Le pied de la tour sera occupé par un bâtiment lumineux habillé d’une peau d’aluminium découpée au laser selon des motifs d’inspiration végétale.
Laisser lisible chaque période de l’histoire tout en se projetant dans le futur pour créer un lieu nouveau, symbolique et fonctionnel : c’est le but du projet de la Porte Jeune.
Cette modernisation est aussi technique et réglementaire. Le parc de stationnement sera ainsi reconstruit pour répondre aux normes de sécurité sismiques d’aujourd’hui. Les œuvres sculptées comme certains écussons en bon état de conservation seront déplacés dans ce cadre et mis en scène dans le projet futur.
La continuité du « récit urbain » mulhousien est une chose complexe où toutes les époques sont représentées mais où elles ne sont pas toutes reconnues et valorisées. Assurer ce lien temporel et permettre cette reconnaissance est un rôle central pour de tels projets. Mulhouse est une « ville territoire » avant la lettre qui reprend sa place de grande métropole urbaine. Elle le fait par la qualité architecturale, par la modernisation des usages dans laquelle l’éco mobilité va tenir un grand rôle et par la mise en valeur raisonnée du « génie » des lieux qui la composent. La mondialisation apparaît souvent comme une vaste entreprise de banalisation et de nivellement des valeurs qui ont fait la diversité et le charme des villes européennes. L’urbanisme mulhousien poursuit une autre voie et la Porte Jeune sera l’une des pièces de ce nouveau puzzle urbain.
Bernard Reichen